Une bagarre entre les équipementiers est engagée

Déjà bien placé il y a quatre ans, Mizuno, éternel équipementier de l’équipe du Japon, a été préféré, cet été, à Adidas, le fournisseur historique de l’équipe de France, pour les quatre prochaines années à partir du 1er janvier. Une offre financière que n’a pu relever Double D qui possède la licence monde pour les sports de combat de la marque allemande, laquelle n’a pas vraiment vu l’intérêt d’investir à nouveau à hauteur de 50% du contrat avec l’entreprise française dont David Douillet est notamment actionnaire.

Teddy Riner a officialisé hier à Paris son partenariat avec Under Armour / Photo : E. Charlot/EDJ

Une transition qui ne va cependant pas sans heurt. La société dirigée par Cédric Dermée n’a semble-t-il pas dit son dernier mot et entend bien s’engouffrer dans une brèche juridique déjà utilisée par certains combattants européens, Néerlandais notamment. Ils ont fait valoir leur droit à choisir et à négocier eux-mêmes leur équipementier, arguant notamment que le judogi est un élément technique de la performance et doit donc appartenir totalement à l’athlète. Ainsi, Audrey Tcheuméo, Clarisse Agbegnenou ou encore Walide Khyar auraient-ils manifesté l’intention il y a quelques semaines, de signer un contrat avec Adidas-Double D avec la ferme intention d’en porter les couleurs… Un imbroglio totalement nouveau pour le judo français et la FFJDA coincée entre la signature avec Mizuno pour l’olympiade à venir et cette fronde des athlètes dont certains ont déjà vertement critiqué leur nouveau judogi sur les réseaux sociaux.
Et voici que ce midi à Paris, Teddy Riner, à qui Adidas aurait fait un offre de l’ordre de 500 000€ sur quatre ans pour un contrat personnel alors qu’il demandait autour du million d’euros, et après que Mizuno eut fait lui aussi une offre, plus basse, va officialiser – pour un contrat au montant inconnu, mais à six chiffres  – l’Américain Under Armour comme équipementier sportswear, mais aussi pour un judogi… qu’Under Armour ne fabrique pas à ce jour.

Un bras de fer que le président de la Fédération Française de Judo, Jean-Luc Rougé, balaye d’un « Pas de commentaire » alors que Jean-Claude Senaud, le directeur technique national, place la convention d’athlètes de haut niveau au centre du dispositif comme un bouclier :
« La Fédération est en train de finaliser les conventions de sportif de haut-niveau (loi du 27 novembre 2015 dite loi Braillard) qu’elle va envoyer aux athlètes. Cette convention dispose que ces derniers doivent, lorsqu’ils sont sélectionnés, porter l’équipement fédéral. Une convention étant un contrat entre deux parties, si un athlète choisit un autre équipementier, la fédération, par la main de Jean-Luc Rougé, pourra ne pas signer la convention. Ce qui la rendrait inexistante. Or, c’est cette convention qui ouvre le droit aux athlètes de pouvoir bénéficier d’aides, du CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle), mais aussi d’être sélectionné en équipe de France. En clair, si un athlète ne signe pas cette convention, il ne sera pas considéré comme athlète de haut niveau. Et ne pourra donc pas être sélectionné ».
Une situation potentiellement explosive que le DTN déplore. « Je savais qu’un jour ou l’autre nous aurions ce problème. La Fédération de judo, l’une des plus importantes en France, est en train de passer un cap clair dans la professionnalisation. Je trouverais ça embêtant et gênant qu’à cause de trois-quatre athlètes, on remette en cause le système mutualiste (toutes les équipes de France de judo portant le même équipementier) et qu’il tombe à l’eau ».

Chez Adidas-Double D, Cédric Dermée avance ses arguments : « Notre projet n’est pas de redevenir le sponsor unique de l’équipe de France, mais de faire évoluer une situation dans le sens de l’époque. Il nous paraît légitime que les combattants puissent choisir leur équipement comme un élément important de leur travail global dans le sens de l’efficacité. Nous avons nous-mêmes travaillé pendant des décennies pour créer des judogis qui soient à la fois aux normes imposées tout en proposant en même temps aux combattants les éléments techniques qu’ils recherchent. Par ailleurs, pour des combattants qui vivent aujourd’hui pendant quelques années du judo, un contrat de 15.000€ à l’année, avec 5000€ de matériel et des primes pour les médailles éventuelles – 15.000€ de plus en cas de victoire aux Jeux – ce n’est pas du tout négligeable. Il serait navrant que la Fédération prive ses meilleurs combattants de cette possibilité. Nous proposons une voie originale : pourquoi ne pas proposer au niveau national une labellisation, comme la Fédération Internationale le fait ? La Fédération Française pourrait demander un ticket d’entrée et l’obligation de respecter un cahier des charges, notamment pour que soient respectés ses sponsors comme SMI et Crédit Agricole. Elle s’y retrouverait largement. Le judo est en train de grandir, devons-nous rester le village gaulois réfractaire à cette évolution ? »

Chez Mizuno, présenté par ses adversaires comme « l’entreprise japonaise vs la PME française » mais dont une équipe, française, est installée depuis pas mal d’année déjà à Chaville, dans les Hauts-de-Seine, la situation est compliquée. L’état d’esprit, lui, est visiblement positif : « Nous venons de signer un contrat avec la FFJudo et il doit être respecté, explique Guillaume Gay, Manager Judo chez Mizuno. Pour nous, c’est clair, les sélectionnés en équipe de France seniors comme chez les jeunes, devront porter les judogis Mizuno. Nous comprenons que les changements donnent lieu à une période d’adaptation pour les athlètes et nous sommes devenus partenaire du judo français pour le soutenir, apporter notre expertise. J’ai entendu les mécontentements qui s’expriment sur nos judogis, mais ce sont de bons produits, dire l’inverse relève de la mauvaise foi. Il ne s’agit pas de notre entrée de gamme. D’ailleurs, il a toujours été annoncé que le très haut de gamme serait attribué aux sélectionnés aux championnats d’Europe et aux championnats du monde. Ces tensions, ce n’est pas notre mentalité. Nous-mêmes, lorsque nous avions Lucie Décosse en partenariat individuel ces dernières années, avons toujours joué le jeu avec l’équipementier en place lorsqu’elle portait le kimono de l’équipe de France.»

Priscilla Gneto en bronze au tournoi de Paris (-57kg) porte pour la première fois le kimono Mizuno / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

La situation s’oriente-t-elle vers un blocage qui peut faire des victimes ? La Fédération ira sans doute à la confrontation, cherchant à obliger les combattants sélectionnés dans les grands championnats à respecter le contrat qu’elle a signé avec Mizuno… d’autant qu’elle est engagée elle-même sur le plan financier – selon nos informations, la FFJudo pourrait faire l’objet de pénalités financières substantielles à chaque fois qu’un combattant de l’équipe de France ne se présenterait pas avec la tenue officielle.
Les combattants pourraient alors rentrer dans le rang, comme il se raconte qu’Amandine Buchard l’a déjà fait, renonçant à un contrat qu’Adidas lui proposait, mais il l’auront mauvaise évidemment, l’argument de la FFJudo qui consiste à leur rappeler qu’ils sont très largement pris en charge par leur fédération et les structures d’État pour pouvoir s’entraîner quotidiennement restant une abstraction face au chèque qui leur passe sous le nez. Si ces combattants importants de l’équipe actuelle décident d’aller plus loin, le scandale de leur non-sélection possible sera un sacré pavé dans la mare et une catastrophe sportive et humaine. En outre le droit pourrait par la suite aller dans leur sens, comme la jurisprudence européenne semble le montrer à travers notamment le cas néerlandais.
Et puis il y a le cas Riner. On ne voit pas comment la FFJudo pourrait simplement imaginer ne pas sélectionner son héros, la locomotive du judo français depuis dix ans. À l’inverse, on ne voit encore pas très bien comment l’équipe Riner pourra imposer un judogi « Under Armour » à la Fédération Internationale, d’autant, rappelons-le, que Jean-Luc Rougé en est le Secrétaire Général ! On ne voit pas d’ailleurs très bien comment Under Armour pourrait se lancer dans l’immédiat dans la confection de ce judogi. Tout porte à croire que les deux équipementiers, Mizuno et Under Armour, vont trouver un terrain d’entente. Il restera alors à voir si Adidas peut revenir dans le jeu de son côté. Pour l’instant rien n’est fait.
 

Le médaillé olympique de Rio Cyrille Maret en Adidas jusqu’en décembre dernier, lors du Grand Chelem de Tokyo 2016 / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo