Il a désobéi aux ordres et ne peut pas rentrer en Iran

En décidant de combattre mercredi en -81kg avec le risque de devoir affronter l’Israélien Sagi Muki en finale, l’Iranien Saeid Mollaei, finalement battu avant l’échéance en demi-finale par le Belge Mathias Casse, a désobéi aux ordres de Téhéran et pris une décision qui a changé le cours de sa vie.
Le champion du monde en titre, Finalement bouté hors du podium par le Géorgien Luka Maisuradze, a pris un avion dès jeudi pour Franckfort, en Allemagne, afin d’y retrouver sa petite amie et d’y demander semble-t-il l’asile politique, a minima une protection en tant que réfugié, peut-être l’exfiltration de certains de ses proches restés en Iran, officialisant ainsi la rupture avec son pays.
Selon nos informations, confirmées par plusieurs témoins, l’Iranien – seul combattant de son pays engagé sur ces championnats du monde, et probablement parce qu’il était déjà hors du pays, en Allemagne, avant le grand rendez-vous – était décidé à affronter tous ceux qui se présenteraient à lui cette année, y compris l’Israélien. Il a reçu un premier coup de téléphone venu d’Iran en début de journée mercredi, lui intimant l’ordre de ne pas combattre du tout. En larmes, déstabilisé en salle d’échauffement, refusant de monter sur le tapis dans un premier temps, il a finalement décidé d’honorer son engagement et de faire son huitième de finale face au Russe champion olympique Khasan Khalmurzaev. Qualifié pour la demi-finale après avoir fait exploser le Canadien Valois-Fortier, il a reçu, au moment de la coupure avant le bloc final, un deuxième appel au cours duquel son interlocuteur lui a passé ses parents, alors chez eux à Téhéran – sa mère vit d’ordinaire en Azerbaïdjan, mais il semble qu’elle était en Iran au moment des faits. Une menace claire pour sa vie et celle des siens.
Peut-on croire qu’il a alors laissé filer cette demie, pris sur une clé du Belge champion d’Europe ? Sans doute. Son ultime combat, ici à Tokyo, pour la place de troisième contre le Géorgien Maisuradze ? Il l’a sans doute « lâché » aussi, et c’est ce qu’il aurait avoué aux officiels de la FIJ à ses côtés depuis le début de cette valse-hésitation tragique. Une victoire aurait signifié devoir monter sur le podium avec Sagi Muki, champion du monde, être de la photo officielle… Les certitudes de Saeid Mollaei, pris dans le tourbillon d’un acte de désobéissance qui lui interdisait déjà tout retour au pays, n’étaient peut-être alors plus celles de son début de journée. Battu « volontairement », mais néanmoins ouvertement désobéissant et donc toujours en danger. Assuré du soutien du président de la FIJ – Marius Vizer nous l’a confirmés – et au cœur des préoccupations d’un réseau vite connecté : FIJ, CIO, autorités allemandes, services secrets de différents pays, Ministère des affaires étrangères du Japon, il a donc, dans un premier temps, été changé d’hôtel, puis mis dans l’avion pour l’Allemagne.
Dans cette affaire, le président de la Fédération internationale Marius Vizer s’est engagé personnellement toute la journée pour convaincre, rassurer autant que possible le combattant, mais aussi pour trouver une solution à cette situation dramatique en multipliant les contacts téléphoniques. Au-delà de la destinée de Saeid Mollaei, c’est de politique internationale dont il est question. Du côté de la FIJ, il s’agissait d’abord d’essayer de faire respecter la promesse écrite et signée le 9 mai dernier (voir ci-dessous) par la fédération iranienne de judo et son comité olympique à l’issue de longues tractations entre la FIJ et le Ministère des Sports iranien, elles-mêmes consécutives à de nombreux forfaits iraniens pour des blessures imaginaires quand ses combattants étaient en position d’affronter des judokas israéliens.
La FIJ en fait une question de principe et par la même, du judo un sport exemplaire – un enjeu aussi dans la relation que la FIJ (re)construit avec le CIO et son Président Thomas Bach, très impliqué derrière Marius Vizer et la FIJ sur cette histoire.
La Fédération Internationale a décidé de révéler toute l’histoire à l’issue des championnats du monde. Il se dit déjà, ici à Tokyo, que Mollaei pourrait être aligné aux Jeux de Tokyo dans onze mois parmi les réfugiés sous le pavillon FIJ. Son histoire ne fait que commencer. La barrière idéologique, elle, n’a finalement pas été brisée.