Entretien avec un jeune retraité ravi d’être passé « de l’autre côté »

5e des JO 2008, vainqueur du Grand Chelem de Paris 2009, champion du monde par équipes 2011 et 3e des Europe 2013, l’ancien -60kg (jusqu’en 2010) et -66kg de l’équipe de France a tiré sa révérence en juin 2016. Que devient-il ? Nous lui avons posé la question. 


Dimanche 28 août 2011, championnats du monde par équipes de Paris. Dans une salle de Bercy pas encore réveillée, Dimitri Dragin horizontalise le Polonais Kowalski et craque la première allumette d’une journée de feu.
©Marcelo Rua/L’Esprit du judo

Aux récents championnats de France de Montbéliard, tu as été aperçu en train de coacher. Tu suis quelqu’un en particulier ?
Oui je suis actuellement entraîneur particulier sur la région parisienne, en charge tout particulièrement de trois athlètes : Cheyenne Mounier, la -48kg de Grand-Quevilly dont je m’occupe depuis septembre 2015 ; le junior Adrien Palhec, -73kg de l’AJ Loire que je suis depuis le mois de mai dernier ; et la Belge Charline Van Snick, -52kg au Blanc-Mesnil Sport Judo, que j’accompagne depuis la rentrée de septembre.

Tu donnes aussi des cours ailleurs ?
Oui. Depuis janvier 2016 je suis l’expert judo, en duo avec Benoît Campargue, de l’entreprise Sport Management System qui œuvre pour le sport en entreprise. Et je suis également le nouveau professeur au Judo Club de Louvres (95). J’y donne des cours tous les lundis, depuis les mini-poussins jusqu’aux seniors.

Nous nous sommes également croisés aux derniers championnats de France juniors à Lyon. Tu as des responsabilités en pôle ?
Aux France juniors j’étais là pour coacher Adrien Palhec et, effectivement, j’ai des responsabilités en pôle depuis peu, puisqu’en septembre 2016 je suis devenu entraîneur sur le Pôle espoir Île-de-France de Brétigny, aux côtés de Nicolas Mossion et d’Edwige Guillemot.

Quand as-tu senti que le moment était venu de tourner la page de ta carrière sportive ? Cela s’est fait simplement ou est-ce que ça a été une lente prise de conscience ?
Pour tout te dire cela a débuté lorsque j’ai commencé à m’occuper de Cheyenne tout en m’entraînant. J’ai très vite commencé à ressentir beaucoup de plaisir à transmettre mon expérience et ma conception de l’entraînement et du haut niveau. Cela s’est ressenti complètement lors du championnat de France 1e division à Rouen en 2015, où je me suis demandé ce que je foutais sur le tapis car le plaisir n’était clairement plus au rendez-vous. À vrai dire j’étais plus concentré sur le parcours de Cheyenne [3e ce jour-là, NDLR] que sur le mien. Donc, oui, cela s’est fait tout simplement. 

Quelles sont les plus grandes fiertés de ta carrière ?
Alors ma plus grande fierté ça reste les Championnats du monde universitaires en Corée en 2006, quand je gagne en individuel et – encore mieux ! – par équipe. Nous étions une équipe de potes qui ne se prenait pas la tête, les blagues partaient depuis le départ de Paris jusqu’au retour en France. Nous avions sorti tout le monde, la Corée au premier tour, le Japon en finale… C’était la première fois que la France remportait le titre et, surtout, c’était le dernier championnat du monde avant que le judo ne rentre comme discipline officielle aux Universiades. L’équipe était composée d’Ahmed Ould Said, Samir Bouheraoua, Alain Schmitt, Matthieu Dafreville, Thierry Fabre et Frédéric Lecanu. Je pense que, pour chacun des membres de cette équipe, ces championnats restent le meilleur souvenir de leur carrière.

D’autres moments forts ?
Ma deuxième fierté reste évidemment les JO de Pékin. Cela avait été une année compliquée, j’étais en perte de confiance et surtout je m’étais fait un croisé en mars 2008 donc c’était un vrai pari de participer aux JO avec cette blessure. Je finis finalement 5e après un gros tableau. De toute manière les JO c’est le rêve de tout sportif. Qu’il y ait ou non une médaille à l’arrivée, je pense que dès lors qu’il y a un gros parcours cela reste de toute façon une fierté.

Et puis il y a les championnats du monde par équipes en 2011 à Bercy…
Au-delà de ma personne, cette fierté-là je pense que c’était d’abord celle de tous les Français présents ce jour-là. Je venais de monter de catégorie avec pour objectif de lancer ma saison afin d’aller chercher la qualif olympique à onze mois des JO de Londres. J’avais faim de prouver que je pouvais être présent dans cette catégorie des -66kg. Et là j’ai simplement envoyé la sauce et surtout j’étais moi-même*.
Enfin je voudrais aussi citer ma médaille de bronze aux championnats d’Europe de Budapest, en 2013. Cette médaille je l’attendais – OK ce n’était pas la couleur que j’espérais mais ça reste quand même une médaille européenne !

28 août 2011 (bis). En demi-finale, c’est au tour du champion du monde en titre, le Japonais Ebinuma, de goûter au menu du jour façon chef Dragin : soulevé de sol finition plat dos.
©Marcelo Rua/L’Esprit du judo

Lors d’une interview pour l’EDJ en septembre 2007 [cf. EDJ10], à la question « qu’aimerais-tu que l’on retienne de toi dans quelques années ? » tu avais répondu que surtout tu ne voulais pas que les gens disent de toi que « c’était un potentiel ». Près de dix ans après, tu as des regrets sur ton parcours ?
Mes plus grands regrets aujourd’hui avec le recul… je n’en ai toujours pas [Rires]. Evidemment nous aimerions tous que certaines choses se passent différemment mais je suis un bon vivant. J’aime la vie, j’aime ma famille, j’aime mes amis. Ce qui  s’est passé dans ma carrière, les hauts comme les bas, cela m’a permis d’avancer et d’évoluer. C’est cela que je veux retenir.

À 32 ans, quelles leçons tires-tu de l’expérience accumulée et que souhaites-tu transmettre avant tout à tes élèves ?
Cette expérience m’a permis de comprendre que, pour réussir dans le haut niveau, il y a deux conditions : il ne faut pas avoir peur de prendre des risques et il faut se faire plaisir. D’où ma phrase fétiche : « No Risk No Fun« . À chaque fois que ces deux éléments ont été réunis, j’étais juste intouchable ! C’est donc cet état d’esprit que je souhaite transmettre à mes élèves du Judo Club de Louvres, aux athlètes que j’accompagne et à ceux du Pôle espoir : ressentir le plaisir qu’il y a à mettre des boîtes et à s’engager, ne pas hésiter à prendre des risques, avoir une confiance en eux inébranlable, et surtout s’entraîner à fond. 

 

Propos recueillis par Anthony Diao
* Pour (re)lire le récit que Dimitri Dragin nous fit au printemps 2012 dans l’EDJ37 de sa journée de folie aux championnats du monde par équipes 2011, ça se passe ici.