Un vent de fronde souffle sur l’équipe de France

Tout a commencé lors du stage de Castelldelfels en juillet dernier… Une délégation représentant tous les numéros un français présents, unanimes et solidaires, tous signataires, dont Teddy Riner lui-même, est venue exprimer auprès des responsables fédéraux une frustration générale qui se focalisait sur trois revendications précises.
La première, la plus visible, consistait à réclamer la possibilité de placer sur le kimono lors des grands championnats, un encart de cinq centimètres sur dix dédié à un sponsor personnel.
La seconde, la plus spectaculaire, demandait à la fédération française que le titre, ou les médailles éventuelles obtenues par équipes aux championnats du monde fassent l’objet d’une prime collective, pour tous les combattants sélectionnés dans le groupe (y compris ceux qui n’auraient pas eu la chance de faire un combat).
La troisième, enfin, paraissait a-priori la plus facile à satisfaire : les combattants ont demandé que le principe qui est en place pour les « Open continentaux », soient étendus aux « Grand Prix » et aux Grand Chelem », c’est à dire que, si la sélection fédérale n’épuise pas le quota de Français autorisé, les clubs, selon des critères à définir (comme c’est le cas pour les Open, même si ces critères ne sont pas toujours strictement respectés), puissent compléter la sélection fédérale.

Une première demande acceptée par la fédération

Cette manifestation de force solidaire a atteint une première cible. La revendication sur le sponsor personnel est acceptée et, selon nos informations, a été validée par la Fédération Internationale de Judo, ce qui, de fait, l’étend à l’ensemble des combattants du circuit ! Déjà une belle réussite pour les « mutins de Castelldefels ».

Une prime pour l’honneur

La deuxième demande pourrait choquer. Que recouvre cette revendication de prime pour une médaille ou un titre au championnnat du monde par équipes ? Les judokas sont-ils devenus des fooballeurs trop payés, mus par l’appat du gain ? Au sens propre comme au sens figuré, on est loin du compte. En fait, c’est plutôt une mise en demeure de cohérence que lancent les combattants à leur structure nationale. À eux, pour un championnat du monde par équipes, il est en effet demandé un « sur-effort » qui les pousse au-delà de leurs limites un ou deux jours après leur parcours individuel, au risque parfois de la blessure, ou d’une rencontre mal maîtrisée avec le rival le plus proche… Mais le message qui est donné en même temps par l’institution est que cet effort ne compte pour rien. Les médaillés individuels ont droit, en plus de la médaille et des honneurs, à un beau chèque qui commence à 10.000€ pour un médaillé de bronze au championnat du monde, mais rien pour la compétition collective. Dans l’esprit de la Fédération il y a sans doute l’idée que cette bataille en équipe pour les couleurs nationales devrait rester un geste « gratuit »… et d’autant plus qu’elle a du mal à trouver son rythme et à s’institutionnaliser, organisée tantôt à part, tantôt à la suite du championnat individuel. On comprend le sentiment d’injustice des combattants qui ont l’impression assez légitime de ne pas être totalement respectés, ni leur effort mesuré à sa juste valeur, et leur médaille elle-même dévalorisée.
Face à cette fronde, la fédération a d’abord refusé la demande, puis finalement accepté de rétrocéder aux combattants la prime (20.000€ pour le titre) déjà prévue par la Fédération Internationale. Toujours récalcitrant, notre collectif a maintenu ses exigences et a obtenu d’après nos informations une somme plus importante, mais encore éloignée de celle qu’il avait fixée. À cette heure-ci, chacun campe encore sur sa position. Mais on peut penser que le dernier effort de la Fédération (on évoque aujourd’hui 50.000€ pour un titre, à répartir entre tous les membres sélectionnés en équipe, soit dix combattants) emportera le morceau et que, sur ce point, les meilleurs combattants français auront eu le sentiment d’avoir été entendu.

La bataille pour le contrôle est engagé

Sur le troisième point, la Fédération Française de Judo est pour l’instant intraitable. Rappelons-le, il s’agissait d’étendre le principe qui est en place pour les « Open continentaux », aux « Grand Prix » et aux Grand Chelem ». Mais il n’est pas question pour elle de perdre la maîtrise totale qu’elle a à l’heure actuelle sur les sélections aux grands tournois qui comptent. L’enjeu ? Evidemment le contrôle de ce qui est toujours de sa responsabilité : dégager le meilleur de la catégorie et le préparer pour les grandes échéances. Elle a beau jeu, d’ailleurs, de rappeler aux leaders actuels, ce qu’ils « risquent » : que des n°2 performants se lancent avec leur club, une fois qu’on leur en aura donné la possibilité dans une course aux points qui viendrait « forcément » peser, affaiblissant d’autant l’autorité souveraine du Comité de sélection, non seulement pour les championnats majeurs, mais aussi pour les tournois qui permettent d’y aller. Avec à la clé les procès réguliers des déçus, comme on en a eu les prémices avec l’affaire Milous (voir ici et ici).

Une « boîte de Pandore » pour l’organisation fédérale

L’Esprit du Judo avait en effet évoqué cette évolution possible dès 2010, au moment où le système de la ranking list se mettait en place. Il paraissait clair que la multiplication des tournois à points (et à primes) allaient poser progressivement un problème de positionnement à la Fédération et déstabiliser le modèle français. De fait, elle se retrouve aujourd’hui dans la situation paradoxale d’avoir à se défendre des éventuels performances de combattant(e)s qu’elle n’aurait pas elle-même sélectionné en tournoi. Pourquoi ce réflexe ? Sans doute parce l’organisation fédérale n’aime pas perdre le contrôle des événements… et qu’elle sait aussi, c’est vrai, que deux victoires en Grand Prix ne font pas forcément un champion du monde potentiel. Les leaders confirmés ont parfois besoin de l’assurance d’une sélection acquise tôt, de la force d’un système central puissant pour bien se préparer. C’est la position actuelle de la Fédération qui n’entend pas être relativisée dans son rôle « d’éleveur de champions » au profit d’une simple logique arithmétique. Mais l’impatience gagne. Les combattants, qui ont le sentiment de ne pas assez sortir et comprennent mal pourquoi, les clubs, dont certains protestent vigoureusement quand l’un de ses licenciés n’a pas été choisi pour une sélection importante. C’était d’ailleurs le cas il y a quelque jours à l’annonce de la sélection des Français pour le Grand Prix de Croatie. Le club FLAM 91 a adressé une protestation écrite pour la non sélection de Guillaume Riou (-81 kg), double champion de France et récent finaliste de l’Open Continental de Madrid. On voit aussi s’amplifier le phénomène des changements de nationalité, dont la plus spectaculaire, celle de la néo-Marocaine Asma Niang, a semble-t-il permis à cette dernière de devenir n°6 mondiale et outsider des prochains championnats du monde.  On parle aussi du départ de la +78 kg Ketty Mathé vers la Turquie aux lendemains des championnats du monde !

Un esprit d’indépendance

Comme on le voit, derrière ces demandes vigoureusement défendues par les meilleurs combattants français, c’est le modèle lui-même qui est testé, et contesté, la prime pour la médaille en équipes, étant finalement la demande de moindre portée. La Fédération Française de Judo a des arguments à faire valoir pour rappeler l’importance de son rôle sur un plan général. Mais elle va devoir les défendre pied à pied contre des acteurs qui réclament de plus en plus vivement leur part d’indépendance dans la situation nouvelle construite par la FIJ. Les clubs, et les combattants eux-mêmes, qui n’hésitent plus à se faire entendre.