Double médaillé aux Deaflympics 2013 et emporté par une grenade

Qui a dit que les pages Dojos du monde de L’Esprit du judo s’arrêtaient au seuil d’une gare ou d’un aéroport, après une ultime nuit blanche et d’intenses accolades ? Quelques semaines après avoir partagé les moments rares racontés dans l’EDJ49, plusieurs messages venus de Kiev, de Krementchouk et même de Varsovie nous annonçaient la même triste nouvelle : la disparition de Dmytro Maksymov, -81 kg médaillé aux derniers Deaflympics, lors de la première nuit de la sanglante semaine du 18 au 22 février 2014 place Maïdan. En bonus à l’article précité, voici la traduction d’un article d’Irina Koprowskaya paru le 3 mars dernier sur le site d’information ukrainien Facty i Kommantary. Attention document rare.

 

« Dima a donné sa vie pour sauver la mienne ainsi que celle d’au moins dix autres combattants. »

Dans la nuit du 19 février, pendant l’assaut de Maidan par les forces nationales de sécurité, Dmytro Maksymov, âgé de 19 ans, a été blessé mortellement. Dmytro « Dima » Maksymov était rentré avec une médaille d’argent par équipes et une médaille de bronze individuelle [battu par Cyril Jonard, NDLR] des derniers Deaflympics de Sofia, à l’été 2013. Le -81 kg avait également été décoré comme chevalier au troisième degré de l’Ordre du mérite. Il participait à la manifestation sur Maidan sans que ses parents et amis ne soient au courant. Il se trouvait en première ligne avec les autres manifestants. Avec un courage extraordinaire, il a subi l’assaut des Forces nationales. Pendant quelques jours, il figurait dans la liste des disparus sous la mention : « Le garçon inconnu avec la main arrachée », dans la cathédrale Mikhailovskii. Puis il a été transféré à la morgue, où il aura fallu quatre jours pour parvenir à l’identifier.


©DR/L’Esprit du judo

« Maman !… Ne t’inquiète pas, j’ai beaucoup d’entraînements de judo et je n’ai pas le temps d’aller à Maidan. »

« Je venais chercher ma fille ce 18 février lorsque le métro a été brusquement fermé, dit Lydia Antonovna, mère de Dima. La panique a alors gagné la ville. Les tramways se sont arrêtés, les bus-taxis ne fonctionnaient pas… Nous sommes finalement rentrées à la maison, non sans difficultés. Chemin faisant, j’ai téléphoné à mon fils. Il m’a dit se trouver chez son ami Nikita. Je lui ai dit de rester dormir chez son ami, étant donné que la situation en ville était préoccupante. Mon fils s’entraînait avec Nikita. Ils étaient comme des frères. Mon fils restait souvent dormir dans la maison des parents de Nikita. C’est pourquoi je ne m’inquiétais pas. »

« Le lendemain Nikita a envoyé un SMS à Ouliana, la soeur cadette de Dima. « Dima est rentré ? » Ma fille a répondu : « Pas encore« , mais elle а oublié de me le dire. Le soir, l’entraîneur de Dima m’a téléphoné : « Vous savez que votre fils a disparu ? – Comment ça, il a disparu ? » Je lui rétorquais : « Je lui ai parlé hier soir ! ». Je téléphone alors à Nikita. Il m’avoue que, malgré l’interdiction, ils sont allés à Maidan. Ensuite, aux dires de Nikita, Dima est parti à la maison. J’ai appelé plusieurs fois mon fils au téléphone mais il était déconnecté. J’ai téléphoné à tous les amis de Dima. Ils ne savaient rien. »

« Le matin, je suis allée rapidement à Solomensky, la section de district de la milice de Kiev. Les portes étaient fermées et les visites interdites. Les miliciens de la police, effrayés, sortaient en courant avec des « paquets ». Ils les plaçaient dans les voitures, à bord desquelles ils partaient Dieu sait où. J’ai réussi à me frayer un chemin à l’intérieur. L’employé de service m’a donné le numéro de téléphone de la morgue. J’ai composé le numéro. L’employée de la morgue m’a expédiée à la section du district Chevtchenkovsky de la police de la capitale. De là j’ai à nouveau été dirigée vers Solomensky. Là, enfin chez moi, ils ont accepté ma demande de rechercher mon fils. »

« Le deuxième jour, la police m’a convoquée. Ils m’ont montré une pile immense de photos de corps non identifiés. Dima n’était pas parmi eux. Puis ils ont sorti un deuxième paquet de photos. La première photo m’a pétrifiée. Il y avait un garçon habillé comme mon fils – un blouson avec des bandes vertes. Il était plein de sang, la main pendante, les vêtements déchirés. De son corps sortaient des tubes de réanimation… Je ne pouvais pas admettre qu’il s’agissait de Dima. Mon fils. »

« Nous sommes allés à la morgue avec son entraîneur. J’ai décrit les marques spéciales de mon fils : deux cicatrices sur la tête, un grand grain de beauté sur le dos. L’employée de la morgue est partie examiner les cadavres. Elle est revenue puis elle a dit que « la mère ne peut pas voir le corps car il est trop défiguré. Seul un homme sera admis à l’identification. » L’entraîneur est entré. Il a identifié mon fils Dima. »

« Le plus difficile est que je ne connais pas les circonstances de sa mort. Après les obsèques je suis allée spécialement sur Maidan. J’ai interrogé les gens, montré sa photo. Andreï Parouby, le commandant de Maidan, m’a dit qu’il voyait souvent Dima sur les barricades. Il m’a même montré sa place au premier étage de l’administration municipale. Il y dormait à son aise, parfois. Les gars de la légitime défense ont confirmé : « Dima passait sur Maidan presque chaque nuit ». Аh ! Mon fils me disait « Je couche chez des amis ». Lorsque je lui demandais de ne pas marcher sur Maidan, il me calmait : « Maman, ne t’inquiète pas. J’ai beaucoup d’entraînements et je n’ai pas le temps d’aller à Maidan ». Mon fils cachait qu’il était de service sur les barricades. Il le cachait même à ses amis intimes. Il craignait que je l’apprenne et que je m’énerve. »

« Sur le Maidan, les gens que j’ai interrogés m’ont dit que le médecin avait essayé en vain, pendant vingt minutes, de ranimer mon fils. Quand la Maison du Syndicat a pris feu, le corps de mon fils a été transféré à la cathédrale Mikhailovskii. Je pense que mon fils a perdu son passeport pendant l’affrontement avec la police – il l’avait toujours dans sa poche d’habitude -, c’est pour cela qu’il n’a pas pu être identifié. J’ai interrogé en tout une centaine de personnes. Aucune n’était aux cotés de mon fils ce 18 février. En tout cas personne n’a été en mesure de me faire connaître les circonstances de ce qui s’était effectivement passé. Aujourd’hui je me dis que peut-être, après cette publication, des témoins se mettront en rapport avec moi… »

 

« Dima était en parfaite forme physique… Il était capable de jeter des pierres très loin. »

Suite à l’entretien entre la journaliste de Facty i Kommantary et la maman de Dima, la rédaction du journal a reçu un appel du Centre paralympique d’Ukraine. Cet appel concernait un homme qui était aux côtés de Dima cette nuit-là. Nous l’avons tout de suite contacté.

Vadim Sizonenko, 48 ans : « Quand l’affrontement avec les forces de police a commencé sur Maidan, nous avons réussi avec mes camarades à incendier deux automitrailleuses. Ensuite les forces de police se sont déployées en une longue file de défense. Elle allait du monument de l’Indépendance jusqu’à la Maison du syndicat. Les policiers ont jeté des grenades de notre côté et nous avons, à notre tour, jeté vers eux tout ce qui nous tombait sous la main. A ce moment-là, j’ai aperçu un garçon très fort qui jetait des pierres très loin. Quand la Berkout [l’équivalent des CRS en France, NdT] a mis le feu sur la Maison du Syndicat, nous étions au coin de l’immeuble. Des policiers nous ont alors aspergés avec des canons à eau, puis ils ont jeté sur nous des grenades offensives. Jusqu’à présent ils n’avaient utilisé que des grenades à blanc. »

« Je suis un ancien officier, et je sais que ce type de grenade projette des éclats sur 25 mètres environ. J’ai crié à tous : « Attention, ce sont de vraies grenades de guerre ! Couchez-vous ! » Mais le garçon est allé sur la droite, là où se trouvaient des gens blessés… Je me rappelle que je lui criais : « Où tu vas sans défense ?!! » C’est à ce moment qu’il a reçu une grenade dans l’épaule droite. La puissance de l’explosion l’a projeté en l’air. Son bras a été arraché. Le souffle de l’explosion au niveau des jambes nous a renversés à terre. »

« Le médecin est arrivé. J’étais blessé aux jambes. J’ai crié que le garçon avait son bras arraché… Le médecin a couru vers lui et ils l’ont transporté sur un brancard vers l’hôtel Kosazskii où se trouvaient les ambulances. Le médecin a soigné ma blessure et les volontaires m’ont sorti de Maidan. »

« Une fois chez moi, je n’ai pas arrêté de penser à ce garçon. Je me disais : « Comment va-t-il vivre sans bras ? ». Ensuite, j’ai appelé mes amis sur Maidan. Je leur ai demandé de retrouver ce garçon. Ils ont contacté tous les hôpitaux en interrogeant le personnel pour savoir si un garçon sans bras de Maidan avait été conduit chez eux. Dans le même temps mon ami à qui j’ai raconté l’épisode de ce garçon m’a dit : « Tu es obligé de le retrouver, et nous lui ferons la meilleure des prothèses ! » Je suis allé en boitant à la cathédrale Mikhailovskii et j’ai demandé aux médecins s’ils avaient vu un garçon sans bras. Un médecin m’a dit avoir effectivement vu un garçon sans bras, mais qu’il était mort. »

« Pour moi, cela a été un grand choc. L’administration de Maidan m’a donné le nom et le prénom : « Dima Maksymov ». J’ai retrouvé le chirurgien qui s’était occupé de lui. Il m’a confirmé que Dima avait été tué par une grenade offensive de guerre. L’explosion de la grenade avait arraché le bras au niveau des épaules et déchiré la poitrine, le cou et la tête. »

« Après avoir analysé tous les faits, j’ai compris que Dima avait sauvé ma vie au prix de la sienne. Ma vie, mais aussi celle de nombreuses personnes. Il a subi toute la force de l’explosion sur son corps, protégeant ainsi tous ses camarades blessés. » (…)

 


©DR/L’Esprit du judo

 

« Il arrive dans la nuit que quelqu’un frappe à la porte de ma chambre à coucher. C’est Dima qui vient. »

 

Vadim Sizonenko : « Ayant lu sur Internet que Dima Maksymov avait gagné plusieurs compétitions internationales, j’ai téléphoné au Comité national paralympique. Je voulais que tous sachent que Dima était mort comme un vrai héros. J’ajoute que ce matin, je suis venu sur cette place où il a péri. J’ai mis un œillet rouge et j’ai commencé à prier. Soudain, juste à côté de l’œillet, une colombe blanche a atterri. Elle est restée immobile quelques instants puis elle s’est envolée. »

Le quotidien Facty i Kommantary a transmis à Vadim la demande de la mère de Dima. Lydia Antonovna a rencontré le camarade de combat de son fils. Vadim a conduit la mère de Dima à l’angle de la Maison des Syndicats, au lieu exact où s’est passée la tragédie.

« Nous sommes revenus sur cette place et la colombe est revenue, raconte Lydia Antonovna. Je sais exactement pourquoi. C’est mon fils qui nous signifie qu’il est avec nous, et, de fait, Dima se rappelle souvent à nous. Je me réveille la première, je vais à la chambre d’enfant où il y a la photo de Dima. Je caresse la photo, je parle avec lui : « Bonjour mon fils ! » Une fois, je me suis à peine approchée de la photo que l’ordinateur de Dima a brusquement démarré en commençant à montrer un film sur la guerre ! Depuis sa mort, personne ne s’approchait de son ordinateur. Il était coupé du réseau… Et non, je n’ai pas eu peur. Au contraire mon cœur s’en trouve soulagé. On dit que jusqu’à quarante jours l’âme d’un défunt visite ses parents et ses amis. Je demande à mon fils qu’il vienne à moi plus souvent. »

« Parfois, la nuit, quelqu’un frappe à la porte de ma chambre, dit aussi son amie Olga Smolskaya. J’ouvre : personne. Au début, cela me faisait peur. Puis j’ai compris : « C’est Dima qui vient. » Notre ami commun, Nikita, dit que parfois dans sa chambre, la télévision s’allume toute seule… »

« Dima aimait beaucoup un mot en langue japonaise : « kananamiti ». Il le répétait souvent sans en connaître la signification. Il expliquait que la prononciation était très agréable et, à cause de cela, on le chambrait souvent. Après sa mort, nous avons cherché sur Internet ce que voulait dire ce mot. Nous avons trouvé la traduction suivante : « chemin de fleurs »… Quelques jours après, je suis venue à Maidan et j’ai vu un véritable chemin de fleurs. Une montagne d’œillets et de tulipes traversait toute la place. »

« Aujourd’hui je me dis : est-ce que Dima pressentait la mort ? Ou quelqu’un d’en haut l’a-t-il nommé d’avance à la Centaine céleste ? Je me souviens d’un épisode l’an passé lors de l’anniversaire d’un ami. A table, Dima a maladroitement renversé un verre de vin qui s’est répandu sur le mur. Nous avons jeté un coup d’œil à la tache et ce que nous avons vu nous a glacé le sang. Sur le papier peint, c’était comme si quelqu’un avait dessiné une croix. »

« Pendant les six mois précédent la mort de Dima, j’ai souvent rêvé de la mort de mon père, soupire Lydia Antonovna. La veille de la mort de mon fils, j’ai fait un rêve. J’étais assise sur une haute montagne. Mon père s’approchait de moi et déposait à mes pieds un bouquet de lilas. »

« Les problèmes auditifs chez mon fils ont été découverts à l’âge de quatre ans. Les médecins ont dit que c’était congénital. Un appareil auditif lui a été installé et le dossier d’invalidité a été rempli. Jusqu’à ses 15 ans, mon fils faisait du judo avec les enfants ordinaires. Il participait aux compétitions et gagnait presque toujours. Ensuite il a été admis dans l’équipe paralympique d’Ukraine. Malgré ses problèmes de surdité, Dima écrivait de la musique et des vers. Il composait des chansons et avait même commencé à écrire un premier album. »

 

Il y a quelques jours, les amis de Dima sont entrés en studio. Ils ont promis d’écrire toutes ses chansons pour garder la mémoire de leur ami. Les étudiants du collège où Dima étudiait les finances et l’économie ont entrepris d’élever à leurs frais un monument sur la tombe du héros de Maidan. De leur côté, les judokas discutent aujourd’hui de la possibilité de rebaptiser les championnats d’Ukraine du nom de Dmytro Maksymov.

 

Auteur : Irina Koprowskaya – Facty i Kommantary.
Traduit du russe par Daniel Bovo, Nadejda et Oleksandr Cherkai.
Informations complémentaires : Katia Pryshchepa, Vitalii Popovych.
Edité par : Anthony Diao – L’Esprit du judo.