Le temps des accomplissements

Victorieux du Néerlandias Grol et du Tchèque Krpalek, n°2 et 3 mondiaux, pour sa première victoire à Paris, Cyrille Maret passe un nouveau cap / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

 

Un samedi frustrant en termes de judo, un dimanche exceptionnel ! L’une des grandes journées de Bercy, de mémoire de spectateur averti. Une jeune équipe japonaise pleine de potentiel et de judo, des combattants hauts de gamme motivés pour mériter Paris, son ambiance, son public et ses médailles format XXL,une équipe de France digne d’elle même et de ses grandes heures, il n’en faut pas plus – mais pas moins – pour gravir les degrés vers l’incandescence du grand chaudron rouge. Pour sa dernière prestation avant réfection, Bercy a été à la hauteur de sa réputation de plus grand tournoi du monde.

Un très beau dimanche sans Teddy Riner !

Un dimanche sans Teddy Riner, mais pas un long jour sans pain. On attendait de voir le potentiel de cette belle équipe de France chez elle, car les enjeux étaient forts. Les leaders étaient attendus. Qu’allait faire Loic Pietri pour sa première participation « post titre mondial », lui qui ne s’était pour l’instant jamais classé en deux participations ? Cinquième l’année dernière, Alexandre Iddir allait-il enfin endosser le grand manteau de leader indiscutable des -90 kg ? Enfin Cyrille Maret, dont la montée en puissance de 2013 avait été interrompue par sa frustrante prestation des championnats du monde, pouvait-il enfin devenir grand ?
Chez les féminines, qui allait endosser la succession de Décosse en -70 kg ? Audrey Tcheumeo pouvait-elle revenir sur a plus haute marche à Paris, une performance qu’elle n’a pas réalisé depuis 2011 ? Emilie Andeol allait-elle monter sur ce podium qui lui avait échappé en 2013 ? Enfin quel(le) jeune combattant(e) allait)l s’offrir l’échappée belle, la grande affirmation ? Pour un combattant français les premiers pas qui comptent, comme l’accomplissement de la maturité passent forcément par Paris.

C’est Buffet qui s’y colle

Seul Alexandre Iddir en -90 kg échoue dans cette étape dont on sent qu’elle a quelque chose de décisif pour les autres. Du coup, par contraste, cet échec est plus troublant qu’un autre, comme un coup d’arrêt. Il faut impérativement une grande victoire au beau gosse du judo français, cela devient urgent. Dans le rôle de l’animateur de la catégorie, il a en plus été largement supplanté par Romain Buffet, déjà prétendant au retour au leadership depuis le championnat de France, et qui a fait là un tournoi de Paris digne de ses meilleures années internationales. Il bat à l’usure le champion du monde cubain Asley Gonzales et s’incline, usé à son tour, dans un grand combat mental et tactique face au jeune Japonais Masyu Beker, au golden score. Encore un peu court pour assumer son propre système tactique et une grosse journée comme celle qu’il a vécu à Paris, il peut rapidement passer un nouveau cap. Dans l’état actuel des choses, il n’est pas illégitime de dire que c’est lui le nouveau leader crédible pour un championnat d’Europe. Un mot pour le valeureux Ludovic Gobert, battu au second tour par le futur vainqueur coréen, Lee Kyu Won, champion du monde 2009. Pas vraiment le meilleur tirage.

Le show Pietri

En -81 kg, rapidement seul en piste, après la sortie de route du champion de France Guillaume Riou – qui passe tout de même deux tours – et des autres médaillés nationaux, Loic Pietri, peu entraîné, mais néanmoins irrésistible, soulevait Bercy à chaque tour, magnifiant même ses adversaires. Avec lui, le jeu de la pénalité vole en éclats sous les coups de boutoir ! Son combat contre le Russe Khasan Khalmurzaev, champion d’Europe juniors 2011 a atteint des sommets, affirmant l’autorité d’un champion du monde et de son seoi-nage ultra-efficace, mais aussi d’une jeune classe russe qui semble vouloir hisser le niveau (Après Pulyaev hier, l’immense Saydov a montré l’étendue de ses progrès debout. Un rival se dessine tout doucement…). Pietri était vainqueur ensuite, rien de moins que du Japonais Nagashima puis du médaillé olympique canadien Valois-Fortier. Le champion du monde français attaquait sa finale contre son grand rival géorgien sur un rythme frénétique et semblait avoir fait le plus dur en marquant le premier, mais ne fermait pas une seconde le jeu, prenant des risques insensés qu’il finissait par payer. Partisan du trop que du trop peu, Loic Pietri s’en voudra s’en doute de n’avoir pas gagné son premier tournoi de Paris. Pas nous. Il nous a régalé.

Maret est enfin lui-même

Finalement la seule médaille d’or française du jour, Cyrille Maret est enfin prêt à faire des grandes choses. Longtemps attendu, trop longtemps pour certains, le champion du monde juniors 2006, restait bloqué aux alentours des grands podiums sans jamais monter dessus, un privilège laissé en Europe au Néerlandais Grol et à son brillant cadet le Tchèque Krpalek, inaccessibles tous les deux pour l’homme fort français. Aujourd’hui à Paris, Maret les a écarté l’un et l’autre, les laissant frustrés et manifestement très désappointés. Si ils n’ont évidemment pas rendu les armes, ils savent bien, eux, avant tout le monde, qu’un nouveau pistolero est en ville. Cyrille Maret vient enfin de briser le goulot d’étranglement entre lui et les grnads podiums. Ce jeune champion de la génération Riner et Legrand est enfin mûr pour accéder au dernier cercle. Un très gros cap vient d’être franchi avec cette première et historique victoire à Paris.

L’argent des femmes fait notre bonheur

Trois catégories féminines aujourd’hui, trois finalistes françaises, trois médailles d’argent. Inabouti ? Même pas. Trois parcours pleins sur lequel il n’y a rien à dire. Andeol confirme en +78 kg  qu’elle colle au cinq majeur mondial, mais elle n’a rien pu faire contre la jeune Japonaise Kanae Yamabe, qui, avec cette victoire devrait justement être à deux doigts d’y entrer. En -78 kg, la finaliste n’est pas Audrey Tcheumeo, encore une fois battue sur une « bourde » face à la modeste Néerlandaise Steenhuis, 42e mondiale et 3e Néerlandaise derrière Verkerk et Lemmen. Elle revient d’ailleurs en trombe vers le bronze en finissant par un tai-otoshi venu d’ailleurs sur la Chinoise Li Xin, mais il faudra encore travailler pour retrouver la dynamique de 2011, l’année de son titre mondial. Quelle Française était donc en finale ? La championne d’Europe juniors en titre, et 3e mondiale de cette âge, la grande et combattive Madeleine Malonga. À grands coups de harai-goshi koshi-guruma engagés, elle bat des filles fortes avant de succomber assez vite en finale devant plus forte qu’elle dans le même registre, la Slovène Velensek, 8e mondiale. Une très belle performance quoi qu’il en soit, qui l’installe pour longtemps comme la prétendante d’avenir de cette catégorie redoutable en France.

Posvite se dessine un avenir

Enfin en -70 kg, la championne de France Estelle Posvite épouse de mieux en mieux le statut de leader. Après son titre national, elle fait à Paris une grande journée, battue seulement par la n°2 néerlandaise Linda Bolder, 6e mondiale tout de même, qui a fait ce dimanche le maximum pour se manifester en l’absence de la grande Kim Polling. C’est sur une action confuse en début de combat que Bolder parvenait à placer sa clé fatale – son spécial – non sans avoir mérité de subir sans doute un waza-ari non comptabilisé. Le public parisien en était en tout cas beaucoup plus sûr que la table centrale qui dut subir la bronca de Bercy. Qui a dit que la vidéo était instituée pour éviter les erreurs, les injustices et les contestations ? Caramba, encore raté.
Si deux titres seulement montrent que tout n’est pas en place pour cette équipe nationale qui s’annonce, beaucoup a été fait ce week-end pour que le groupe France se sente plus fort et plus confiant. Paris 2014 va compter dans les deux ans à venir.

Japon, encore fragile

Si l’équipe géorgienne a été forte en cette deuxième journée, avec notamment la victoire d’Avtandil Tchrikrishvili et la défaite en finale par forfait du -90 kg Varlam Liparteliani, on a aussi vu avec plaisir les « juvéniles » de l’équipe japonaise, l’élégant Nagase, 3e en -81 kg, un technicien orfèvre tout en souplesse, qui devra gagner un peu d’expérience, mais qui pourrait bien être le futur de l’équipe nippone dans cette catégorie, ou encore le très jeune Masyu Beiker (3e), un -90 kg encore fragile aux o-uchi-gari tranchants. Rien n’est fait pour eux, mais l’olympiade qui arrive devrait les voir grandir. Le leader de ce groupe est un autre « métis », le beau +100 kg Shichinohe, presque ridiculisé au championnat du monde, et cette fois impressionnant avec ses fantastiques uchi-mata. L’encadrement japonais était semble-t-il déçu de ses résultats, avec une seule médaille d’or chez les hommes. Il nous a semblé pourtant assister à la naissance de l’avenir du judo nippon. Dans deux ans, ces trois là devraient être très forts.