Portrait d’un Lot-et-Garonnais passionné

Parti pour l’Indochine le 11 octobre 1951 comme secrétaire militaire féru de rugby, Claude Urvoy reviendra six ans plus tard en France en judoka. Un coup de foudre qui ne se démentira jamais, en témoignent les six jours sur sept passés par ce Lot-et-Garonnais sur les tatamis depuis maintenant plus de soixante ans. Une idylle que le fondateur du Dojo Brestois évoque avec passion du haut de ses quatre-vingts printemps.

© L’Esprit du Judo / Claude Urvoy, lors du rassemblement des Dojos de France d’avril dernier.

Comme tout bon enfant de Villeneuve-sur-Lot, le petit Claude connaît ses premières sensations sportives sur le pré du club de rugby, premier champion de France de l’histoire du rugby à XIII en 1935. Il n’a alors que deux ans et est encore loin de se douter que sa vie le mènerait bien loin du stade de La Myre-Mory. En juillet 1950, il s’engage à Mimizan (Landes) pour deux mois de formation dans la Marine Nationale avant d’intégrer, contre l’avis de ses parents, l’école des secrétaires militaires de Cherbourg (Manche). Un semestre plus tard, il embarque sur le croiseur « Georges Leygues » en Méditerranée, avant de se porter volontaire pour l’Indochine et de se retrouver à bord de « L’Oregon ». Le début d’un périple qui va changer sa vie.

A Saïgon, son affectation de secrétaire au bureau militaire de l’état-major de la Flotille Amphibie, loin du champ de bataille et aux antipodes de sa soif d’aventure, lui permet très vite d’avoir du temps pour se dépenser physiquement. Naturellement, il porte son choix sur le club de rugby de la Marine. Mais l’ambiance n’étant  pas bonne, le jeune Aquitain se met en quête d’une autre discipline. Ce sera le judo, « une discipline très complète qui m’est tout de suite apparue à ma portée » comme le révèle-t-il. Ennuyé par la préférence de son premier professeur pour le jiu-jitsu, Claude Urvoy n’hésite pas à enfourcher son vélo pour évoluer sous les ordres du Maître Déglise-Favre à la Base d’Aviation de Saïgon, qui lui donne le goût du travail et de l’assiduité. Il sera le Cupidon de Claude Urvoy et du judo. « Avec du recul, je m’aperçois que j’ai eu de la chance d’avoir un bon enseignant dès le début, qui m’a permis d’aimer le judo au moment même où je l’ai découvert.» Un amour insatiable puisque, durant les trois ans que dureront son escale indochinoise, le jeune homme multipliera ses heures d’entraînement, en suivant également les cours de Bernard Zonca au Judo Club de Saïgon, et enchaînera stages et compétitions jusqu’à accéder à la ceinture marron. En parallèle, la bataille de Diên Biên Phu (mars – mai 1954) avait fait son oeuvre, bouleversant l’avenir de Claude Urvoy à Saïgon.

© L’Esprit du Judo / Un senseï écouté de tous.

Attiré par le judo estampillé Japon de Zonca, il se met alors en tête de rallier au plus vite « le pays du soleil levant ». Grâce au Commisaire de la Marine Jacques Raphaël-Leygues, petit-fils de Georges Leygues et également Lot-et-Garonnais, ce fut chose faite dès le début de l’année 1955. Là encore, le premier dojo, celui d’Uraga, ne conviendra pas à Claude Urvoy, faute de créneaux conséquents. N’ayant que deux matinées de travail par semaine à réception du courrier, il n’hésite donc pas à prendre le train deux heures durant pour rallier le dojo du Maître Riichiro Watanabe, pour un apprentissage vitesse grand V. Moins de deux mois après son arrivée au Japon, le premier Français à avoir fréquenté le Watanabe dojo de Yokosuka passe avec succès son 1er dan, avec comme partenaire de kata un certain Isao Inokuma (futur champion olympique des +80 kg en 1964). Watanabe, vénérable senseï connu pour son goût prononcé pour l’alcool, inspire par sa rigueur et son irréprochabilité sur le tapis un Claude Urvoy de plus en plus enclin à faire du judo son pain quotidien. Pour s’en convaincre, un deuxième séjour nippon, de huit mois cette fois, l’amène à pratiquer régulièrement au mythique Kodokan de Tokyo, où il accède au 2e dan le 4 juillet 1957. L’année précédente, il prenait également, en spectateur, le pouls de la discipline lors des premiers championnats du monde organisées dans la capitale japonaise le 3 mai 1956, voyant Henri Courtine se parer de bronze. Sur le plan diplomatique, trois ans après la signature des Accords de Genève, qui marquent la fin de la Première Guerre d’Indochine, l’heure est au départ pour les troupes françaises, appelées sur d’autres fronts. Pour Claude Urvoy, la traversée du Pacifique lui donnera l’opportunité de dispenser ses premiers cours  sur le « Dumont d’Urville », mais aussi de côtoyer d’autres formes de judo à Hong-Kong, Hawaï, Tahiti, Nouméa ou Fort-de-France, jusqu’à l’accostage à Brest le 15 octobre 1957. Les mains dans les poches, sans le sou, mais avec une farouche envie d’enseigner.

Considéré en haut lieu, le désengagement de Claude Urvoy de l’armée ne sera qu’une formalité, et il pourra prendre en considération toutes les propositions qui lui sont parvenues, au Mexique, à Paris ou au Venezuela. Il privilégiera cependant son nouveau port d’attache, où ses premiers contacts avec le judo breton ne se font pas sans heurts. L’idée de fonder sa propre structure, avec son premier élève à Saïgon Roger Peter, fait donc son chemin, avec l’aide de Brestois volontaires et désireux d’appréhender la méthode japonaise acquise par ce sudiste expatrié. Le Dojo Brestois allait naître de leurs propres mains, au 29 de la rue Voltaire. 87m2 de tapis -plus grand dojo de la région à l’époque – où l’épanouissement aurait pu être total si la fédération et les clubs environnants avaient été plus disposés à faire une place à cet autodidacte débarqué tout droit d’Asie. « Par faute de diplômes, la FFJ a voulu me faire fermer, se rappelle-t-il. Mais la loi, datée de 1955, n’ayant pas eu de décret d’application avant la saison 59-60, je n’avais pas de raison de m’inquiéter. Surtout après avoir été soutenu par le sous-préfet de Bretagne, devenu mon conseiller juridique. »

© L’Esprit du Judo / Toujours ouvert à la discussion, dans la recherche du geste juste.

Qu’importe, la voix de Claude Urvoy allait faire du bruit dans le Landerneau du judo, l’ouverture de son club tous les jours constituant une révolution pour beaucoup. Certain que la prise en main de la discipline doit se faire par les professeurs, le jeune Villeneuvois d’origine attire tout de même des pratiquants, séduits par l’approche traditionnelle, pour bâtir une équipe vainqueur du championnat de Bretagne sans discontinuer de 1961 à 1985. Des résultats qui faisaient grandir sa réputation, jusqu’à être appelé à Paris en 1965 par la fédération pour mettre au point les Cahiers Techniques et Pédagogiques, à destination des aspirants professeurs, qui le remercient encore de nos jours pour ce travail d’un an et demi effectué en étroite collaboration avec Guy Pelletier et Georges Baudot. « Malgré mes divergences avec la FFJ, je me suis toujours acquitté de mes missions avec conscience professionnelle », tient à préciser Urvoy, qui quittera à titre personnel le système fédéral en 1968 tout en maintenant ses compétiteurs dans le giron. Car ce travail n’est que le premier d’une longue série de requêtes de la fédération, réticente mais convaincue des compétences engrangées par le néo-Brestois au fil de ses pérégrinations. Il sera, entre autres, chargé de lancer la première école régionale des cadres en Bretagne, promu coordinateur du comité de gestion de la ligue de Bretagne, nommé responsable de la commission sportive, mais aussi convoqué en tant que jury d’examens pour les brevets d’états ou bien mandaté pour créer la section sport-études à Brest-Kérichen. Une multiplication des casquettes qui lui a permis beaucoup de monde, compétents comme novices. « Je n’ai sûrement pas plu à tout le monde car je forçais chacun à travailler plus qu’ils ne le faisaient, souffle-t-il. Étant assez proche des gens, du moment que je pouvais toucher un élève en difficulté ou améliorer une personne à travers son métier, mon pari était gagné. L’important restant de prendre le temps pour mener à bien ses projets. »

Un leitmotiv bien intégré par son fils Philippe, qui n’a pas hésité à mettre sa maîtrise de chimie de côté en 1994 pour rejoindre son père sur les tatamis de la rue du Château, troisième enceinte de l’histoire du club. « On s’est retrouvé sur le tapis, témoigne Philippe. Par son éducation paternaliste, mon père m’a transmis ce métier de passion, où l’investissement n’est pas une question de temps. » Une transmission du savoir-faire traditionnel dont bénéficie également les judokas du Dojo Brestois et du Watanabe-Dojo, structure parallèle créée en 1986 en dehors du système fédéral,  mais aussi les licenciés des Dojos de France, fédération créée en 2002 par cinq professeurs – dont Claude Urvoy – « soucieux de remettre le professeur de judo au cœur du système » comme le précise le président Christian Lapeyre, intarissable au moment d’évoquer le senseï. « Il m’a présenté une autre façon de travailler il y a maintenant plus de dix ans et je ne saurai m’en lasser, évoque cet Albigeois « pur produit de la FFJDA » selon ses propres termes. Claude fait partie de ces personnes super compétentes et qui rendent tout plus intéressant, avec beaucoup de pédagogie et d’engouement. C’est un exemple, un pionnier exemplaire qui a passé sa vie au judo, à ne faire et à ne penser qu’au judo. » Et malgré les courbatures, ça n’est encore pas près de changer.