Elle courait après cette sélection depuis plus de dix ans

Anne-Laure Bellard, la combattante / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

Mais d’où vient cette trentenaire (elle est née le 2 mars 1982) qui est parvenue à emporter de haute lutte une sélection au championnat du monde en -63 kg, dans la catégorie de Clarisse Agbegnenou ? Une sélection que personne n’avait anticipé au sein de l’encadrement national, une sélection qui ne doit rien à personne, sinon à Anne-Laure Bellard, ex-Poli, et à son entourage proche ? Synthèse rapide d’un parcours rebelle.

Deux finales nationales en junior

Anne-Laure Poli débarque au meilleur niveau national en 2000, en devenant vice championne de France juniors en -70 kg, battue cette année-là en finale par Armelle O’Brien, actuelle kiné de l’équipe de France. Elle est alors la meilleure combattante d’un jeune regroupement du nord de la Seine et Marne (77), l’AGPF 77, qui regroupe quatre municipalités Dammartin en Goële (Judo Dammartinois), Villeparisis (Judo Club de Villeparisis), Saint Soupplets (Judo Club de Saint Soupplets), Oissery (judo Club de Oissery). L’année suivante, la voici championne de France juniors, devant une combattante tonique avec une belle carrière à venir, Gévrise Emane. Anne-Laure Poli a alors rejoint le grand club de la région, le JC Pontault-Combault, où est licenciée dans cette catégorie l’internationale Anne Morlot. Première déconvenue de sa carrière, malgré ses deux finales nationales, elle n’est pas choisie pour honorer une grande sélection en juniors. Ce sont Armelle O’Brien, Mylène Chollet et Ghislaine Bretteville qui se partagent les sélections européennes et mondiales pendant ces deux années.
En 2001, elle sera néanmoins sélectionnée pour les Universiades, mais sans succès pour elle. C’est alors Amina Abdellatif, Anne Morlot, Sandra Garofalo qui tiennent le haut du pavé national.

Dans l’ombre de Gévrise Emane

Dès 2003, c’est Gévrise Emane qui démontre que, de cette génération, c’est elle qui a le plus de potentiel en seniors (avec dans son sillage la patiente Mylène Chollet, qui aura sa chance en 2010 avec une sélection au championnat d’Europe (5e), puis au championnat du monde en seconde combattante derrière Lucie Décosse). Anne-Laure Poli devra attendre 2006 pour atteindre le podium des France seniors, battue par Gévrise Emane future championne de France et déjà vice championne du monde senior, mais devant Véronique Dielbolt et Rosalina Oukoloff pour le bronze. S’ensuit alors une année internationale trop terne pour être satisfaisante. Une sélection sans résultat pour le tournoi de Paris, une 5e place toute de même en Allemagne. Elle est aussi non classée au tournoi de Russie. Sa décision est prise. Celle d’une pré-retraite en pente douce, avec la prise de conscience qu’elle n’a peut-être pas tout à fait ce qu’il faut pour le très haut-niveau ? Pas du tout. Il faut changer de catégorie de poids… et vers le bas. C’est du côté des -63 kg, sur les terres de Lucie Décosse à ce moment-là, qu’elle va chercher de nouveaux horizons. Mais le championnat de France 2007 ne lui offre pas d’option internationale. Elle est dominée par Ilana Korval, puis par Rizlein Zouak en repêchages. Il lui faut patienter encore un an sans possibilité de s’exprimer à l’étranger. En 2008 rien de mieux. Elle est battue une nouvelle fois… par Rizlein Zouak. Mais qu’importe. La nouvelle donne internationale lui permet d’avoir plus d’opportunités de sortie, et elle sort. Elle se situe en gagnant le Tournoi B d’Arlon, va à Budapest, au Suisse Open, à Tallinn. Dans deux de ses trois tournois, elle est battue par Rizlein Zouak, sa bête noire du moment. En 2009, elle est une nouvelle fois battue par Rizlein Zouak au championnat de France. Anne-Laure, qui est devenue Bellard en devenant la compagne de l’entraîneur de Pontault-Combault, Franck Bellard, ne lâche pas pour autant. Elle est deuxième à Arlon, puis au tournoi de Lisbonne, à chaque fois battue par la Néerlandaise Esther Stam. En septembre, elle est 3e du tournoi d’Angleterre et le mois suivant, elle gagne son premier tournoi A international en Biélorussie. Quelque chose s’est passé cette année-là. Anne-Laure Bellard a déjà 27 ans.

Quinzième mondiale

Au championnat de France 2010, elle est en posture d’outsider et réussit l’exploit de battre Gévrise Emane… mais, au tour suivant, c’est une jeunesse, celle d’une certaine Clarisse Agbegnenou, qui la domine. Elle est une nouvelle fois 5e cette année-là, surprise par les belles attaques d’une jeune technicienne qui monte, Caroline Peschaud, pour le bronze. Mais à l’étranger, elle est dans la ranking-list et assume son nouveau statut. Non classée au Master, elle fait une belle 3e place au Grand Prix d’Allemagne, se classe deuxième à la world cup d’Egypte. Elle est alors 15e mondiale, deuxième Française derrière Gévrise Emane. Ce sont Gévrise Emane et Clarisse Agbegnenou qui sont sélectionnées pour les championnats du monde de Tokyo, sans résultat cette fois-là pour l’une ni pour l’autre. En novembre de cette même année, pour le second championnat de France 2010, Anne-Laure Bellard subit la loi de Clarisse Agbegnenou avant de prendre le bronze.

Pas de tournoi de Paris pour Poli-Bellard

En cette année 2011, les deux rivales Emane et Agbegnenou rivalisent au meilleur niveau mondial. Non classée au tournoi de Paris, Bellard est plus modeste avec une 3e place en Tchéquie. Gévrise Emane est championne d’Europe et championne du monde cette année-là. Clarisse Agbegnenou, engagée sur le championnat du monde de Paris, ne se classe pas. Au championnat de France en novembre, elle est battue une nouvelle fois par Caroline Peschaud, tandis que Maëlle Di Cintio devient championne de France. Bien que 3e du championnat de France, Bellard n’obtient pas sa sélection au tournoi de Paris. On lui préfère, outre Di Cintio et Peschaud, la jeunesse de Margaux Pinot et le dynamisme de sa collègue de club Laëtitia Blot, 3e du championnat de France elle aussi.
Gévrise Emane et Clarisse Agbegnenou sont sur le podium du championnat d’Europe 2012, Gévrise Emane est médaillée aux Jeux de Londres. Une nouvelle olympiade vient de s’achever. Anne-Laure Bellard est rentrée dans le rang. Elle est deuxième au tournoi d’Italie, troisième de l’Open de Bulgarie début 2013. C’est bien, mais c’est trop loin du compte. Et surtout, elle ne parvient pas, une nouvelle fois, fin 2012, à emporter le titre national, battue par Peschaud et Di Cintio.

Un cap décisif

2013. C’est l’année du triomphe de Clarisse Agbegnenou. Elle est championne d’Europe, vice championne du monde. Gévrise Emane est encore là, médaillée mondiale. Anne-Laure Bellard n’abdique pas. Elle gagne l’Open de Madrid, se classe 3e du Grand Prix de Croatie, dominée par la modeste Anglaise Faith Pitman. Toujours trop loin des deux leaders. Mais c’est le moment où, alors qu’elle pourrait être à bout de souffle après dix ans de bataille, elle parvient à rajouter encore une couche de détermination dans son parcours, accentuant le caractère résolument tactique et destructeur de son judo, sur la ligne jaune pour les arbitres comme pour le public. L’époque est favorable : Gévrise Emane monte de catégorie, ainsi que la dangereuse Margaux Pinot. Sa camarade Laëtitia Blot tente sa chance avec réussite en -57 kg. C’est l’année où Anne-Laure Bellard emporte enfin son premier titre national en senior. Ce sera sous les sifflets qu’elle bat la favorite du public, la championne du monde Morgane Ribout, qui tente un beau come-back. Elle n’entraîne pas l’adhésion, mais elle a le sourire. Un cap décisif est franchi, le rêve est à portée de main. Elle enclenche alors la belle série dont on se souvient. 5e du tournoi de Tokyo en décembre, elle est deuxième à Paris, septième en Allemagne. Pas suffisant, encore, pour l’envoyer aux championnats d’Europe 2014. Pas de quoi la décourager : elle enfonce le clou une dernière fois d’un grand coup, en gagnant le Grand Chelem de Bakou 2014. Cette fois c’est assez clair pour être entendu. L’encadrement national entérine cette montée en puissance qu’il n’a pas calculée – ni encouragée, selon son entraîneur de mari – en la prenant dans le premier wagon pour les championnats du monde.

Anne-Laure Bellard est allée chercher sa sélection contre le système, ou du moins sans lui. Mais, en août, elle aura enfin le coq français sur la poitrine. Un accomplissement sportif, une confiance après lesquels elle courait depuis une quinzaine d’années. Qu’on aime ou pas son style extrême, on doit lever son chapeau devant cette remarquable et indestructible détermination, cette capacité à remettre l’ouvrage sur le métier jusqu’à atteindre le but qu’on s’est fixé. En suivant les aventures d’Anne-Laure Bellard à Chelyabinsk cet été, il faudra se souvenir du chemin parcouru pour en arriver là.