Le triple champion olympique a tiré sa révérence ce vendredi

Ce 29 août, l’événement judo sur les chaînes japonaises n’était pas à Astana avec la fin de la razzia nippone lors des championnats du monde, mais à Hyogo pour la compétition nationale « Entreprise ». La raison ? La « der » de Tadahiro Nomura qui avait annoncé sa retraite sportive à l’issue de ce championnat. L’une des rares vraies stars du judo au Japon, avec Yasuhiro Yamashita, Kosei Inoue ou Ryoko Tamura-Tani, arrête une carrière avec un palmarès unique : 3 titres de champion olympique (1996, 2000 et 2004) et un titre de champion du monde (1997).

Il avait coché cette date depuis un bon moment car lorsque nous l’avions rencontré en mars sur les tatamis de Tenri (voir l’interview par ailleurs), Tadahiro Nomura nous l’avait annoncé : sa retraite sportive était très proche. A 40 ans, ce judoka, unique de par le palmarès, s’est donc décidé à arrêter de fouler les tatamis de compétition, 19 ans après son 1er titre olympique en expliquant lors d’une conférence de presse : « je commençais à atteindre mes limites physiques avec des douleurs récurrentes à l’épaule et au genou. J’ai fait tout ce que je pouvais. Je n’ai pas de regrets. »

Retour sur le parcours d’un monstre sacré de la discipline.

Tenri, là où tout commence

Né à Nara, capitale d’une préfecture située dans la région du Kansai, Nomura grandit dans une famille où le judo règle les vies. Son oncle, Toyokazu, est champion olympique (1972) et champion du monde (1973) (cf portfolio réalisé par Patrick Vial disponible ici). Son père est le Kantoku (entraîneur en chef) du lycée de Tenri, l’un des plus réputés du Japon. Le judo, Tadahiro Nomura l’a donc dans le sang.
Un sport qu’il débutera à 3 ans dans un dojo construit par…son grand-père.
Fils cadet, il associera ses 1ères années judo à des souvenirs douloureux, se faisant systématiquement battre sur le tatami par son grand frère et même par des filles.
De ces humiliations, Nomura en fera une force pour se forger un caractère d’acier.
Entrés au lycée de Tenri, les deux frères, d’un an d’écart, verront leur père se retirer de son poste pour ne pas donner prise aux critiques de favoritisme envers les « fistons ». Ce même moment où, d’ailleurs, Tadahiro commence à révéler un potentiel exceptionnel.
Après ses trois années de lycée, il intègre l’université. C’est là que naîtra le début de la légende où il sera couvé par Shinji Hosokawa (champion olympique en 1984, champion du monde en 1985), professeur, mentor et son coach à Atlanta et Sydney.
Au détour d’une conversation, Hosokawa Sensei nous révéla un jour que « s’il lui arrivait de faire encore randori avec Nomura lorsqu’il était 1ère année, j’ai arrêté ensuite car il devenait vraiment trop fort ». Pile l’année (1994) où ce dernier finit vice-champion du monde juniors au Caire. Fin 1995, il finit 3ème à la Kano Cup (l’ancêtre du Grand Chelem de Tokyo). En 1996, il est en balance avec Ryuji Sonoda pour la place de titulaire à Atlanta mais est finalement titularisé après deux victoires début 1996 à Budapest et Prague.
Dans la ville de Coca-Cola et CNN, Nomura s’impose à seulement 21 ans face à l’Italien Giovinazzo, notamment avec ce qui fera sa marque de fabrique (comme celle de son oncle) : un morote à droite dévastateur. L’année suivante, le combattant de Tenri vient conquérir son seul et unique titre mondial à Paris.

Tadahiro Nomura à 21 ans (Crédit : Patrick Vial)

En 2000, à Sydney, Tadahiro Nomura remporte l’une des finales les plus rapides de l’histoire du judo face au Coréen Jung. 2ème titre olympique dans la poche.

La volonté de couper avec le judo le fait s’installer pendant 2 ans aux Etats-Unis. Faisant parfois du judo dans des dojos de quartier américains, il se rend compte que l’envie est toujours là. C’est donc avec les crocs qu’il revient au Japon pour un ultime challenge : être le 1er judoka à conquérir trois titres olympiques. Il ne reprend la compétition qu’en 2003 (!). A Osaka, lors des championnats du monde qui se déroulaient « à domicile » (il n’y a que 30 kilomètres entre Nara et Osaka) il finit 3ème. En 2004, quelques mois avant les Jeux, Nomura monte en régime et remporte le Tournoi de Paris et le championnat national. De quoi faire le plein de confiance avant le rendez-vous grec.
Le 14 août 2004 à Athènes, en remportant sa finale contre le Géorgien Khergiani, Nomura rentre définitivement dans le Panthéon du judo mondial.

11 ans suivront jusqu’à ce 29 août 2015, marqués par quelques résultats probants (vainqueur de la World Cup de Prague en 2006, 1er et 3ème aux championnats du Japon en 2007 et 2008, un résultat qui l’élimine définitivement de la course à Pékin au profit de Hiroaki Hiraoka), des blessures, des opérations et des tentatives de retour dans le circuit international, notamment lors du Swiss Open de 2013 où nous l’avions suivi.

Samedi dernier, Nomura bouclait donc une carrière hors-norme. Sa prestation du jour, aux couleurs de son sponsor de toujours, Miki House (une marque de vêtements pour enfants), restera anecdotique (il gagne ses deux 1ers combats par ippon puis perd contre le futur 2ème sur tsuri-komi-goshi), ne faisant que confirmer certains propos entendus dans le monde du judo japonais et qui regrettaient cette volonté farouche de continuer mordicus, au risque de le voir sortir par la petite porte lors d’une compétition d’une envergure indigne d’un tel champion à la personnalité simple et respectueuse.

Nomura, judo félin et caractère discret

Il se plie chaque fois au rituel, sans visiblement être lassé. Toujours souriant, d’une gentillesse toute japonaise, Tadahiro Nomura accepte toujours de bonne grâce les demandes de photos ou selfies des judokas étrangers venus s’éprouver sur les rudes tatamis de Tenri.
Parlant anglais, le triple champion olympique est un judoka abordable et cordial dès l’entraînement fini. Une attitude aux antipodes de ce qu’il laisse paraître lors de ses entraînements : froid, le visage dur et fermé, ses seuls mots sont pour ses « kohai » qui subissent bien volontiers ses nombreux uchi-komi et nage-komi sur morote. Un mouvement dont il aura fait une arme absolue dans une palette technique pourtant incroyablement riche et variée. En 2000 à Sydney, il gagne chaque combat avec une technique différente. Judoka opportuniste et fin tacticien, Nomura possédait un art consommé pour s’engouffrer dans la moindre faille laissée par son adversaire. Réputé pour l’impact de ses mouvements d’épaule, le triple champion olympique a laissé l’image, pour certains français venus à Tenri, d’un chat se promenant sur les tatamis en paille de riz tressés : pied de velours et déplacement félin, pour des attaques qui explosaient la défense adverse. Autre caractéristique du bonhomme, une propension à ne pas se laisser bercer par la nonchalance en combat, travers agaçant de ces judokas trop doués et qui peut parfois leur jouer de bien mauvais tours.
Très respecté des universitaires (deux d’entre eux lui servent systématiquement de partenaires), il lui arrive souvent de les remercier en leur donnant gourdes, ceintures ou tout autre équipement. Parfois aussi, en leur payant un coup à boire comme cet été : alors que d’énormes genouillères remplis de glace entourent ses deux genoux meurtris par des milliers (des millions?) d’uchi-komi et de nage-komi, Nomura, sort de sa voiture et demande à ses deux « kohai » de le suivre, direction les distributeurs de boissons.
Arrivés devant, il régale les deux jeunes universitaires. Un geste normal, voire banal dans la société nipponne, la relation sempai/kohai avec ses interactions et obligations constituant l’un des piliers du corps social japonais. Mais il suffisait de voir le sourire accroché aux lèvres des deux jeunes judokas, même après le départ du champion et la surprise passée, pour se rendre compte que le respect que suscitait Nomura, au moins pour ces deux étudiants, dépassait les simples conventions.
Depuis son combat perdu samedi, sous les yeux de Saburo Tosa, l’un des entraîneurs de Tenri, et de son kohai, Tadahiro Nomura enchaîne les conférences de presse et autres sollicitations médiatiques.

Sur les réseaux sociaux de nombreux judokas, célèbres, en devenir (comme Hifumi Abe) ou anonymes, rendent hommage à l’un des immenses champions de la discipline et à propos duquel beaucoup de monde se posait la question de savoir de quoi son avenir serait fait.
Ainsi, alors que son partenaire des JO de Sydney, Shinichi Shinohara, issu lui aussi de Tenri, est devenu une star de la télé en faisant le bonheur des émissions de divertissement de 1ère partie de soirée,
Tadahiro Nomura n’a fait que confirmer lors de sa conférence de presse, hier, ce qu’il nous avait dit en mars : «Je peux dire avec fierté que le judo est ma vie et j’aimerais désormais aider les jeunes générations à apprendre et à progresser ». Expert ? Entraîneur ? Professeur ? Rien n’est encore décidé.
Peu importe au fond. Le judo y gagnera à coup sûr.